Elle me brûle colère


Je suis en colère, je ne sais pas si c’est contre moi-même ou contre le monde.
Une colère qui brûle, comme le soleil que l'on n’arrive pas à atteindre.
Elle me bouffe.
Tu me bouffes colère.

Qui es-tu ?
Pourquoi es-tu en moi ?
Sors.
Va-t'en.
Dégage !

Tu me brûles.
Je n’ai pas les mots pour t’entendre.
Je n’ai pas la voix pour t’écouter.

J’ai l’impression que tu me consumes dans mon corps,
que tu me consumes sans réussir à te saisir,
sans jamais réussir à te comprendre.
Dégage !
Parle-moi.

Parfois, j’ai peur de mourir sans ne jamais avoir été,
comme si l’être se cachait derrière une porte feutrée.
Une porte cachée dans la forêt.

Est-ce que l'on peut passer sa vie à attendre d’être,
à rêver de ce moment où l’on sera enfin
comme si l’on n’était pas encore,
comme si l’on n’était pas déjà assez,
comme si l’on vivait dans l’attente d’être enfin ce je ne sais quoi...
qui n’existe pas.


oleia


Notes :
extrait de texte écrit et joué au théâtre Koltès à Nanterre en avril 2023.
Photo argentique : virée en voilier depuis la Normandie

La relation

La relation

c'est deux mains qui s'écrivent, deux regards qui s'échappent,
deux genoux qui s'invitent, deux jambes qui s'embrassent,
quatre joues qui s'enlacent.

La relation

c'est dix bouches qui s'écoutent et vingt mains qui te portent
c'est dix ventres qui te nourrissent et vingt épaules qui se sourient.

La relation

c'est des coudes et des talons qui se tiennent par la main.

La relation

c'est la sensation d'exister avec toutes ces coudes, tous ces mains,
tous ces jambes et toutes ces bras.

La relation

c'est nous-je et je-nous,
nous avec je, je avec nous,
je-nous ensemble.

La relation

c'est pleurer dans le corps de l'autre
et sentir son corps dans nos larmes
c'est sourire dans ses larmes
et pleurer de joie dans son rire.

La relation

c'est dire non.
non. je ne veux pas de tes mains, de tes bras, de tes jambes.
Je ne veux pas de caresses avec toi.
Je veux la muraille de Chine entre nos corps.
Je ne veux pas sentir ta sueur et ton sexe quand je dors,
je veux renouveler mon non autant de soirs qu'il existe de jours
je veux m'endormir en sécurité la nuit
que ma peau soit poreuse quand j'en ai librement décidé
je veux que le nous s'épanouisse à l'intérieur du consentir
que les je ravalent leur frustration
que le consentement soit le nouvel étendard de l'amour libre

La relation

c'est dire oui.
oui, je veux consentir tes caresses dans mon ventre lorsque l'aube se réveille en sueurs
oui, je veux consentir ta joue frôler mon corps dans nos jambes les soirs de pleine lune
oui, je veux consentir tes doigts danser dans ma nuque et se blottir dans le creux de mes hanches lorsque le printemps s'allongera
oui, je veux consentir tes lèvres s'étreindre dans mon coeur chaque matin où l'hiver renaîtra.

La relation

Est-ce que tu consens à ce que nos corps se rencontrent dans le oui seulement,
seulement lorsque les je sont pleinement vivants ?
adieu au nous si non
Car il s'agit toujours de vivre. Se rencontrer vivant.
Vivre intensément.


oleia

texte rédigé à la fin d'une séance de théâtre corporel et danse libre en préparation d'un spectacle sur le thème de la relation en 2024.
Photo argentique : branches et ciel en Himalaya, double exposition, été 2023.

La falaise verte

Carnets. Sesshin d’Hiver, Ardèche.

Trouble dans la pénombre.

Je conduis au bord de l’eau
Virages dans la main
Les routes sinueuses dansent en moi
Les arbres-amis saluent ma venue

Je suis en retard
Je remonte les marches et contourne la bâtisse en pierre
Un moine m’accueille
je n'ai pas de sandales
mes pieds sont nus
Attendez quelques instants 
ici 

Châle au corps, de blanc et de beige vêtue
Je patiente
dans la pénombre
La ferveur du calme s’immisce lentement
Et le silence plonge en moi
Il fait paisible

Un grincement dans la nuit, la porte en bois s’entrouvre
Je lève la tête
Deux sphères de lumière se hissent dans le hall
inconnu

Trouble dans mon corps
tressaillement
fébrile

Ses yeux sont comme des lunes
un regard sans parole
qui chamboule

Etourdie
tant de poésie

Je ressens la douce étreinte du présage de ce clair dans l’obscur
Ses yeux résonnent comme une lumière sereine à l’horizon
Messagère d’un seuil à franchir

Les deux astres s’éloignent sans bruit dans les escaliers
poursuivant leur chemin

Je suis seule dans la nuit
Le silence m’envahit
Il est tendre 
J’attends

J’entends le bruit sourd de pas qui reviennent
Les grincements sur le plancher en bois se rapprochent
Quelqu’un descend

Il n’y a qu’en plongeant dans sa nuit que l’on peut sentir les étoiles scintiller
Je n’ose pas lever les yeux

la présence frôle mon corps
s'arrête à mon niveau
toute sa proximité dans le silence
perturbée
Je lève le regard

Les mêmes
Encore
Lumineux
Dans l’obscurité
le temps fait pause
Trouble dans l’être
J’entends la lumière

Le regard intense et profond, qui pénètre
Celui réconfortant
Ce sont des yeux de lune
Qui me frappent de tendresse et de beauté

Il n’y a rien à comprendre
Juste ressentir
dans son corps

Je suis en terre d’accueil
Quelque part dans l’inachevé
Près des miens
Je suis en terre apaisée
Je baisse le regard
Ses empreintes disparaissent

Je ressens ses étoiles dans mon cœur
Je suis seule dans la nuit
Le silence m’envahit
Il est tendre 
J’attends

Réveil 4h30
Les bambous dansent et s’évaporent dans le vent
Le gong en bois sonne
Je suis un murmure
J’inspire

J’ai connu quelques regards de cette envergure
Ce sont les regards qui traversent l'espace et le temps
Ceux qui résonnent en soi
Qui nous déstabilisent, nous décontenancent, nous rendent fébriles
Ces regards remplis de mystère

Comme s’ils avaient un message silencieux à nous faire parvenir
Comme s’ils nous disaient quelque chose d’inaudible
Qui ne peut être mis en mot
Qui doit être tu

Un message intemporel qui fait trembler les corps
Un message que l’on portera dans un recoin de notre cœur
Qui nous accompagnera toujours
Sans peut-être jamais savoir ce qu’il avait à nous dire

J'expire
Je porterai en moi ces yeux-lune et ce visage doux comme le miel

Mon visage s’allonge, je n’ai pas mis assez d’encre
Les poils du pinceau bercent le papier de riz
La tâche s’efface 
Le vent l'a gomme
L’éphémère me rappelle que je suis nuage
Je désherbe le rivage comme je nettoie mes pensées
Je me déleste des branchages qui obstruent l’espace
Je fais le vide dans les bois

J’ai voulu interrompre le silence
Et le silence m’a rappelée à l’ordre
Il n’y a pas besoin de parler ici
Entre nuages on se comprend, en flottant
On peut déjà tout se dire sans les mots
Je crois que tout a été dit sans dire
Juste ressentir

Je me penche en avant, l’eau du thé se déverse
Ici le rythme et les contraintes sont tels que le mental résiste
fort
Mais les contraintes auraient pu être autres
Celui qui s’attache à la forme ne voit pas qu'il est aveugle

Jouer le jeu
Tout est jeu
Homo ludens
C’est difficile 
Que se passe-t-il si j'accepte de jouer tous ce.s jeu.x

Ce monde n'a aucun sens
Tout devient rire et danse
Je ris

Le temps passe
les contraintes deviennent musique
Le groupe devient une danse
chaque mouvement devient une chorégraphie
Chaque geste devient une attention à autrui
Une opportunité de pendre soin de chacun
D’être attentif à ce que chacun de nous soit bien à l’intérieur, raccroché, au sein, avec, ensemble

Ici c’est un peu comme au théâtre
On apprend à sortir de soi pour être avec les autres
grande question : qu’est-ce « qu’être avec » ?
Je ne suis pas sûre d’avoir la réponse
Je sens dans le silence nos mains qui se tendent

Ici c’est comme au théâtre, le coeur qui s’ouvre 
Il devient si grand qu’on ne peut plus en saisir les contours
Il grandit jusqu’au ciel, il enveloppe la terre entière
La tendresse et l’amour se déploient autour de nous comme de grandes sphères lumineuses
Il pleut des plumes

Juste le corps, toujours lui, il peut tout dire, tout exprimer, tout sentir
L’intelligence du corps
Il est comme un livre merveilleux
le corps parle
J’ai l’impression que c’est un trésor dont peu en ont découvert le secret
Comme si l'on passait sa vie à ne pas voir que la porte est là
juste dans son ventre

Il suffit de ralentir et d’écouter
Il n’y a que dans la lenteur que l’on peut entendre sa musique

J’aime les gents lents, les livres lents, les vies lentes
Il y a toutes les réponses à l’intérieur

22h
je m’assieds sur la plateforme en bois dans le froid de l’hiver
zazen sous les couvertures
Méditation les yeux à demi-clos sous la nuit étoilée
L’immensité du ciel me procure un vertige de tendresse
Si j’avais pu lui souffler un mot, je l’aurais remercié
d’être nuage
Dans son regard j’ai ressenti la douceur du silence qui nourrit, celui qui réconforte, qui apaise

Je me suis vue, enfant, fille, femme, mère, grand-mère
Epanouie, calme et paisible
Plus aucune attache
Plus de maison d’enfance
Plus de lieu racine

Je suis au bord du vide
Je crois que l'on vit pour ressentir l’excitation d’être au bord
Sentir ce gouffre
Celui de la liberté
ce goût qui crépite à l’intérieur 
Le goût de vivre, un goût de catapulte 

les résistances explosent, éclatent et volent en fumée
Le passé s’évapore
La voie est sans attache
La page est si blanche
Qu’ai-je envie d’écrire ? 

Je veux vivre comme un nuage
Suivre le chemin du vide
Là où tout est flottant
Et m’arrêter lorsque mes brumes s’effondreront de tendresse
J’amarrerai en terre de douceur
Là où les terres sont cotons
Là où les arbres sont cotons
Là où les bancs sont cotons
Là où les oiseaux sont cotons
Je plongerai encore et encore dans ce fleuve silencieux.
Un dernier regard et puis s’en va.
« Prends soin de toi »

Juste un regard à la falaise verte.

oleia

Poussière d’agrumes

Atelier d'écriture 

La première hypothèse est que nous serions tous des agrumes. Des fruits à peler, des bulles à saisir, des pulpes à déchiqueter, des jus à boire, des vitamines à aspirer, des pépins à recracher. 

La seconde hypothèse est sans doute la plus effarante. Nous serions de la poussière, non pas des particules aussi grosses que des grains de sable, dont on pourrait saisir les minces contours ou caresser la granularité. Non. Nous ne serions qu'une fine et invisible texture informe et disparate, sans contours ni centre. 
Un amas vaporeux, errant sans destin dans l'atmosphère. 
Une sorte de buée sans nuage, une sorte de fumée sans présage. 
Insaisissable, donc. 

A moins que nous soyons poussière d'agrumes. 
Il faut parvenir à saisir ses propres brumes, sentir l'épaisseur de ses couleurs dans le ciel. 

Je suis poussière rose pamplemousse. 

Et vous, êtes-vous plutôt poussière jaune citron ou zeste de citron vert ? 

La poussière n'a pas de forme mais plutôt un parfum de fleurs. 
Le drame, qui survient alors, est de ne plus sentir ses odeurs. 

Sentir le parfum de sa peau-laine qui bourdonne et qui vente. 
Sentir la brûlure de ses cendres qui s'efface et s'envole. 
Sentir ses pores enfumés souffler la fleur d'oranger ou la verveine citronnée.

Je suis la pommade de mandarine ou la marmelade de clémentine. 
Je me répands comme une effluve douce et légère, j'embaume le monde d'un arôme éphémère. 


oleia


Photo : argentique, champs d'agrumes entre Sóller et Deià (Majorca)


abandonne-toi à la douceur

(chaise-mère)


Chèr.e ami.e,


J’ai bien reçu ta lettre. J’entends ta mâchoire serrée. J’entends le son de tes dents qui se liment la nuit.
Continues ainsi et tu n’auras bientôt plus que l’émail vide pour sourire.

Comment en es-tu arrivé.e à penser que tu étais condamné.e à mourir avec le sentiment de n’avoir jamais été ?

J’entends la prison et l’étouffement.
J’entends la lame des fantômes qui transperce ton cœur.
J’entends le saignement de la mer morte.

Tes lettres se chevauchent, s’entassent et s’entretuent.
Il n’y a plus d’espace entre tes mots. Je n’entends plus ton souffle.


A l l o n g e l e s i n t e r v a l l e s .



Saute des lignes.




Laisse des blanches




Tourne les pages




Prends l’espace




Comment veux-tu continuer à vivre sans respirer ?
Comment veux-tu écrire ton histoire sans laisser le vide des pages souffler les mots ?

J’entends tes inquiétudes.

J’entends ta peur de mourir la gorge coupée
de n’avoir jamais pu te dévouer à la vie.

Cette chaise que tu cherches, dont tu rêves
ce foyer dans lequel tu te vois t’assoir un jour
je la vois cette nouvelle terre, cette nouvelle mère.

C’est une chaise en bois disposée à l’intérieur d’une voûte de branchages torsadés au milieu de la forêt.

Je te vois assis.e sur ce fauteuil boisé
un rouge-gorge sur le bras
une mésange qui chante dans tes yeux
une flûte dans le coeur
et les livres dans tes veines.

Pars

Et ta chaise adviendra.

Pars.

Efface et réécris à la craie blanche les premières lignes.

Pars !

Et tu verras, tout adviendra.
(silence)


Et si je te disais que tu 'mouriras' le sourire aux lèvres d’avoir été,
commenceras-tu enfin à détendre ta mâchoire ?

Et si je te disais que tu 'mouriras' la sensation au cœur d’avoir servi la vie,
commenceras-tu enfin à respirer ?

Et si je te disais que dans quelques mois tu marcheras dans ce jardin et tu la trouveras.

Qu’elle sera aussi belle que dans tes rêves les plus chantants.

De cette chaise tu voyageras partout où le vent t’emportera, tu parcourras la brume des cimes des contrées les plus lointaines, tu inspireras l’oxygène des cieux et tu souffleras les notes de la flûte divine pour partager au monde le son du livre enchanté.


Et si je te disais,


Pars.

Abandonne-toi à la douceur.
Sois fleur*

Et tout adviendra.

La chaise en bois
La forêt
La flûte
Les livres
Les montagnes
Les oiseaux
Et le silence.
(de l’infini)


Alors maintenant,

écoute-moi,

je te le dis.


Tout est là

déjà,

là.




oleïa
* référence à Rilke « abandonne-toi à la soif » et « soyez fleurs »

Note : texte rédigé en stage d'atelier d'écriture sur le thème des seuils en mai 2022.
Image : photographie argentique, coteaux de Bougival, 2022

océan de jade

Océan de jade

je suis un océan de jade et de rivières
les fleurs de jasmin naviguent sur mes eaux
transformant les terres décimées
en halo d’émeraudes voluptés


dans mes veines coule la mer 
dans mon sang s’écoule une barque silencieuse
bercée par les flots de minuit
dérivant dans la pénombre des reflets
évanescents 
mirages scintillants
de la brume d'argent

à demi-mots
lorsque les pétales de la nuit 
éclosent dans le ciel
elle s'échoue dans le rivage des sommeils

j'entends alors fourmiller
le chant des rossignols qui crépite dans mon cœur
et j’hume le parfum des rêveries qui s’épanche 
dans l’étendue infinie


au petit matin, ma peau est une plage nue et déserte
comme la lune
deux silhouettes 
dans la brume
deux corps enlacés 
dans les dunes

étreintes d’une vague danse, des hanches
qui frétillent dans mon corps 
tremble l’amour 
dont émanent les effluves 
du chant de la flûte divine


oleïa


Photo : fleuve de la Seine, tirage argentique, 2022


carnets, décembre 2021

Christel Ollivier-Henry

louve

A l’aube des parfums de l’hiver s’étreignent
des craquèlements de velours sur la terre
Pas éphémères et louve feutrée
Pelage enneigé dans les cimes grises
Une brise glacée se faufile dans les pieux ramages

Vagabonde des forêts
dans l’horizon dormant des mirages
Sauvage, l’ombre disparaît

Une pluie de fils et de mages
S’évertuent dans les cieux de l’amer

Ô ma douce, seule et frivole
Cri du jour et de la nuit
Ténébreuse silencieuse
Voici ton heure

Venue Mystérieuse

L’aura de la lune s’immisce dans tes rivages
Le breuvage de la nuit écume ton visage

Et le pinceau des neiges éternelles
dissimule tes lettres qui s’étiolent
dans la nébuleuse de l’Être Immortel

Dans l’opacité de ce drapé étincelant
une brindille sur le point de se briser
Les cils de l’éternel tirent leur révérence
Un glissement s’estompe, figé dans le silence

C’est le gouffre de l’aurore

Dans cette nymphe sonore
Du néant
s’extirpe le béant
d’un éclat de lumière
ou l’Etant
de la vie sublunaire

Dans cette joute effrénée des filantes
Ivre dans tes flammes yeux
Se meut
La douceur candide de la grâce enivrante
L’euphorie candeur des étoiles errantes

oleïa

Photo : Forêt enneigée à Bionnassay, Haute Savoie, Automne 2021

Christel Ollivier-Henry

Au-dessus des nuages

    Petite virée à la montagne dans un paisible refuge au dessus des nuages avec la personne qui m’est la plus chère. Au réveil, mes yeux s’écarquillent, des drapeaux tibétains dans le vent et des moulins à prières en guise d’ornement, comme si l’Himalaya était venue se glisser à mes côtés assister à ce soleil levant, comme si l’Himalaya était venue jusqu’ici me saluer, me caresser la joue en signe d’amitié. Lire la suite de « Au-dessus des nuages »