Ses yeux verts dans les cieux

Carnets de deuil (novembre 2018) après le texte introductif.

Elle entre dans ma chambre, me sourit, me prend la main. Elle me caresse la tête. L’angoisse sur mon visage s’apaise, je ressens sa douceur. Soudain, de l’union de nos mains, jaillit une lumière. Que se passe-t-il ? D’où vient-elle ? Je la regarde, ses yeux verts, ses boucles espiègles, son sourire complice. Au loin, une sonnerie stridente retentit. Son visage se floute. Non ne t’en va pas, reste avec moi ! Maman, reviens je t’en prie, je t’en supplie… Avec le coeur serré j’ouvre les yeux. A présent, il n’y a plus que dans mes rêves que je peux savourer ces moments paisibles avec ma mère. L’inconscient ne fait pas la différence entre les rêves et la réalité, alors dans cette période tiède et morose, je m’évade dans cet espace intérieur pour m’insuffler un peu de tendresse. En six mois, la maladie l’a ensevelie, en six mois le cancer a englouti ses yeux verts. A l’ombre du soleil, j’erre en chemin, ses yeux verts partis en poussière, de là-haut j’entends sa lumière. 

 

Tout a débuté lorsque je l’ai accompagnée à l’hôpital le 17 avril et qu’elle m’a annoncé un cancer de stade 3 sur un foie sain, cancer rare et agressif. Claque dans ma figure. Dans la voiture,  je n’entendais plus rien, j’ai oublié ce qu’il s’est passé, ma mémoire l’a effacé. C’est ma mère qui m’a dit quelques mois plus tard tout ce que je lui avait dit dans cette voiture. Elle m’a dit que ça lui avait donné de la force pour se battre. Et malgré les douleurs, elle s’est battue jusqu’à la fin. Une heure avant de mourir, elle a demandé à se lever, à marcher, alors qu’elle n’avait plus aucune force pour tenir debout.

Puis, le tumulte a continué le 02 mai, lorsque ma soeur m’a annoncé qu’elle avait frôlé la mort en Himalaya, le guide qui les avait lâché, le porteur disparu devant ses yeux, englouti dans une crevasse à plus de 6000m, évaporé dans le silence. Elle a du improviser des points d’attache et une descente en rappel surplombant le vide sans le matériel ni les connaissances adéquates, le miracle qu’elle ait échappé à la mort, le sentiment dévastateur qu’elle a du ressentir tout là-haut. Elle était à l’autre bout du monde, maman était très malade et je ne pouvais pas la serrer dans mes bras, la consoler, la rassurer. J’ai essayé de trouver les mots justes, elle ne se rend pas compte de ce qu’elle a du surmonter, qu’elle n’a pas à porter sur ses épaules le poids de l’incompétence et de la médiocrité de ce guide qui n’a pas assumé ses responsabilités. Ma petite soeur je l’admire, tout ce sang froid et ce courage dont elle a fait preuve à 22 ans, je l’aime tellement, j’aimerais que toutes ces expériences lui donnent de la force pour éclore davantage, j’aimerais réussir à la soutenir, j’aimerais réussir à l’encourager et lui remonter le moral à chaque fois qu’elle en aura besoin, comme maman l’a toujours fait avec nous.

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Ensuite, il y a eu cet été caniculaire passé immobilisée à l’hôpital du Vésinet du fait d’une réopération du genou et la rencontre de toutes ces personnes qui après des AVCS, accidents ou maladies se battaient au jour le jour pour réapprendre à parler, à marcher, à vivre. Le jour où j’ai quitté l’hopital mi-août j’ai pleuré, c’était l’été le plus pourri de ma vie et en même temps le plus riche jamais vécu en termes d’humanité. A tout cela, s’est ajouté l’arrêt de ma pratique de yoga, ce qui ne m’était pas arrivé depuis 8 ans. Période d’immobilité. De vulnérabilité. D’introspection. De régression physique et psychique. La sensation d’être enchaînée. La psychanalyse, les angoisses et les cauchemars d’enfance qui remontent, les tornades émotionnelles et ce sentiment de solitude qui vous met à terre. Vidée, purgée, essorée dans tous les sens. Les larmes, le vide, le froid, la nausée, la souffrance de maman, réapprendre à marcher, la fatigue émotionnelle de papa, les montagnes russes de la maladie, les angoisses à chaque nouvelle infection, la déformation des saveurs, la perte d’appétit, le dégoût, la peau sur les os, les contours de son squelette, les cauchemars d’Auschwitz, l’étage cancéro, toutes les matinées passées à l’hopital en alternance avec papa pour lui apporter un petit dej meilleur que celui de l’hosto, les longues discussions sur sa vie, son existence, les matchs de la coupe du monde qu’on venait regarder dans sa chambre d’hôpital, ses 60 ans fêté là-bas, tous ces corps déformés par la maladie.

Et puis la fin, sa perte d’autonomie, l’incontinence, l’éprouvante respiration, son regard dans le vide, la lumière bleue dans le samu, ses yeux verts déjà partis dans les cieux. L’appel de papa à 6h du matin, resté à son chevet toute la nuit. Nous on pensait la revoir le lundi, le corps sans vie, les pompes funèbres, le cercueil, le funérarium, la déformation de ses lèvres, les joues creusées, le froid du cadavre, la tombe n°377. C’était la première fois que j’embrassais un cadavre.

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Un mois plus tard, j’ai du retourner au cimetière, cette fois pour l’enterrement du père de mon meilleur ami, le même cancer que ma mère. Je me sentais étrangement calme, jusqu’à ce que je m’aperçoive que mon corps a fait sidération, je n’ai pas réussi à m’approcher du cercueil car il y avait les mêmes roses blanches que maman aimaient tant. Papa met toutes les semaines de nouvelles roses blanches sur la table du salon. Je ne peux m’empêcher de repenser à ces moments d’insouciance sur les bancs de la fac, si on avait su par quel dessein serait lié notre amitié. Et en même temps c’est étrange mais quelle chance d’avoir pu partager cette épreuve ensemble. Heureusement comme on apprend à marcher, on se relèvera autant de fois qu’il faudra. La mort aura beau essayer de me faire peur en emportant dans la terre les personnes qui me sont les plus chères, cela n’ébranlera en rien mon lien profond d’amour avec eux ; la mort aura beau me percuter, je ne m’arrêterai pas de savourer ce chemin avec ceux qui sont encore là. En janvier, je suis partie voir mes deux grands-mère. J’observe, j’analyse, je ressens, je fouille dans les méandres et profondeurs de cet arbre, je pars dans les tréfonds psychogénéalogiques de mes racines en quête de sens, pour y décéler les non-dits, les tabous, les traumatismes, les violences, pour tenter de débrousailler ce qui entrave sa liberté.

L’autre point que j’observe c’est l’inconfort des gens avec la mort, leur malaise, leurs peurs. Pourquoi est-on si inconfortables avec la mort alors que sans la mort la vie perdrait toute son intensité et sa préciosité ? Les considérations humaines sont trop étroites face à l’immensité. La tristesse de la mort de ma mère est à relativiser comparé à l’éternité. Je suis bouleversée, profondément chahutée, morose à l’intérieur, la vie a dorénavant un goût amer, il y a certes une cassure, une lassitude, la lueur qui scintillait dans mon regard s’est un peu éteinte, mais cela n’est rien comparé à ma joie d’être en vie. Cette joie peut être parfois ébranlée mais jamais atteinte. La vie et la mort sont deux facettes de la vérité, je ne suis pas dans le déni. J’accepte la réalité telle qu’elle se présente à moi. La mort ne peut pas éteindre ma joie d’être en vie, cela serait un non sens.

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En thérapie, ça fait un an que je travaille sur le fait d’arrêter de sourire lorsque je dis quelque chose de triste. C’est un toc de famille. Il parait que ça s’appelle le rire du pendu. C’est une technique pour se couper de son émotion et ne pas perdre la face devant autrui. C’est tellement ancré  que j’ai beau l’avoir conscientisé, ce n’est pas suffisant. Le jour où j’ai demandé aux urgences combien de temps il restait à ma mère de temps à vivre, si c’était en années, en mois, en semaines… Le médecin m’a répondu “quelques jours, quelques heures”. Lorsque j’ai compris que ma mère allait mourir, j’ai souri. C’est intriguant ces réflexes mécaniques de protection. J’ai souri puis j’ai commencé à voir flou et je me suis évanouie. Ils ont du m’allonger sur le brancard. Bizarrement, je suis en train d’apprendre à ne pas sourire quand je dis “ma mère est morte”. A apprendre à ne pas sourire quand je suis triste. Je vais essayer de faire un effort, je vais essayer d’apprendre à ne pas sourire. Mais moi mon sourire c’est ma force, c’est ce qui me tire vers le haut, la plupart du temps je ne suis pas triste, la plupart du temps je souris parce que je pense à un truc drôle dans ma tête. Je suis sûre qu’il y en a qui pensent que je ris d’eux. Alors que je suis juste en train de repenser à une connerie que m’a dite Claire ou mon père.

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Avant je n’aimais pas parler de la mort, avant je n’aimais pas les cimetières. Aujourd’hui, je m’assieds devant la tombe de ma mère, dans ce cimetière qui surplombe la forêt, il y a cette odeur de bois fumé, les oiseaux qui chantent et le ciel aux couleurs pastels. Je prends mon carnet bleu ciel, mon nouveau stylo plume aux couleurs de l’océan, et j’écris, j’écris ce qu’il se trâme dans mon être, ces élans de souffrance, de solitude, de vide et de violence, ces élans d’extase, de plénitude, de joie, tout se mêle et s’entremêle, aller au cimetière m’apaise. Après sa mort, j’ai culpabilisé qu’elle soit morte, et si je n’en avais pas fait assez ? Et si ? Et si ? Mais en fait cela ne mène à rien, les « et si » épuisent. On a fait tout ce qu’on a pu pour qu’elle se sente le plus soutenue et aimée possible. Le lendemain de sa mort, son psychanalyste (qu’elle n’a eu le temps de voir que deux fois seulement) a appelé sur son portable au moment où j’étais en train de lui écrire un message. Il l’avait vu une semaine avant qu’elle décède. Il m’a dit qu’elle était dans une énergie très positive malgré la situation, il m’a confié que ma mère lui avait dit qu’elle se sentait comblée et aimée, elle lui a dit que sa famille c’était sa force. Je ne pouvais pas sauver ma mère. Je n’avais pas les clefs de sa guérison. J’expérimente donc l’impermanence telle que celle vécue lors de mes expériences intenses de méditation, sans jugement, sans attache. J’observe et j’acceuille ce qui est, je lâche prise et je ne porte pas sur mes épaules le poids de mon impuissance.

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Alors simplement je savoure ces temps précieux auprès des gens que j’aime, et je prends conscience que dans les pires moments de l’existence, les liens profonds de l’Amitié, se révèlent et brillent de mille feux, tout ce soutien, tout cet amour m’a profondément émue, cela m’a donné une force ancrée dans mon coeur que je n’oublierai jamais. Quel meilleur remède pour combattre la tristesse, le vide et la solitude que la joie, les rires et de se sentir profondément soutenue et aimée. Envie de vous dire que moi aussi je serai toujours là pour vous soutenir et me transformer en pilier comme vous l’avez fait pour moi au moment où j’ai senti que je perdais pieds à l’intérieur. Envie aussi de vous dire à tous que si un jour vous étiez amenés à rencontrer la maladie d’une manière directe ou indirecte, ne restez pas seuls dans votre bulle, à quoi ça sert d’être humain si ce n’est pour se soutenir mutuellement, partager nos expériences pour s’entraider lorsque l’on est amenés à boire la tasse, s’entraider à avancer ensemble ? Ne pas simplement partager nos moments d’insouciance mais aussi partager nos souffrances.

 

Alors me revoilà ici bas, j’ai réappris à remarcher, je recommence tout juste à recourir et j’espère passer le restant de mes jours à danser. Je n’ai plus aucun tabou, je parle de la mort, de la maladie, de la souffrance, sans malaise, c’est un message pour ceux qui sont un peu constipés sur ces sujets, soyez juste authentiques et sincères, car votre peur vous coupe de votre humanité ! Une personne qui boit la tasse n’a pas besoin de pitié, votre pitié est révélatrice de votre inconfort, de vos propres souffrances et peurs face à la mort, une personne qui boit la tasse a juste besoin d’authenticité, de soutien, d’humain, de chaleur, de tendresse, si vous n’osez pas vous exprimer par peur de mal faire, de mal dire, vous vous coupez de votre empathie, de votre lien avec l’autre, ça sert à quoi d’être humain si ce n’est pas pour être en lien et en empathie avec autrui ! J’avais envie de le glisser ici car ça m’a beaucoup étonné de voir à quel point certains sonnent faux, s’effacent, et manquent de spontanéité dans cette période où la seule chose qui compte c’est la sincérité, la tendresse, l’amour, arrêtez de vous poser des questions, ouvrez votre coeur et faites juste un putain de câlin si vous ne savez pas quoi dire ! Ça c’était le petit message cassdédi obligé pour tous les handicapés des émotions (j’étais comme ça avant donc je me sens 100% légitime pour en parler) et aussi parce que j’aime bien les câlins spontanés, chaleureux, ceux qui viennent du coeur. J’admire tous ceux qui arrivent à faire tomber les barrières, qui laissent exprimer leur émotion et leur authenticité !

Trois mois après le deuil de ma mère, ce mois de janvier a été le théâtre d’un ouragan de tristesse intérieur entremêlé d’explosion de joies : j’ai commencé à enseigner des projets de yoga, de relaxation, de communication non violente, des ateliers philo et de méditation dans plusieurs écoles, je me suis retrouvée face à des classes de CM2 de 26 enfants. Il y a quelques mois, j’appréhendais un peu… Est-ce que j’aurai l’énergie, l’attitude et les mots justes pour réussir à être en lien avec les enfants ? Et avec les enfants autistes, et ceux diagnostiqués troubles TDAH, et celui qui est malade en fauteuil roulant, je n’y connais rien, vais-je être à la hauteur ? J’appréhendais aussi de me retrouver face aux adolescents, je me souviens de cette période que j’ai très mal vécue, la violence et la dureté dans les mots et les regards. Puis je me suis souvenue que le meilleur moyen d’entrer en relation avec les enfants et les ados, c’était le rire, la légèreté, ne pas se prendre au sérieux, rire de soi, rire du yoga, rire de la philo, s’en moquer gentiment avec amour, rire ensemble tout en faisant respecter le cadre. A aucun moment la fatigue psychique ne m’a coupé de ma motivation première : faire de mon mieux pour éveiller la curiosité des enfants.

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Un nouveau cycle se hisse devant moi, après la mort, la renaissance ! J’ouvre officiellemment des cours de Hatha yoga, de Yin yoga, de Yoga Nidra (relaxations méditatives guidées), de méditation à la maison, pour continuer de laisser circuler la vie librement… avec la hâte de partager ces petits moments de douceur et de voyage intérieur avec de nouvelles personnes.

Des bisous, des rires, des larmes, de l’amour, de la tristesse, de la joie, des émotions, des réflexions, de la sincérité, de l’authenticité, de la vie !

 

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Je partage également le texte que j’ai écrit en novembre après la mort de ma mère, sans filtre, car j’ai besoin de le déposer quelque part pour mieux tourner la page, le partager à mes proches, le relire un jour pour me souvenir ou bien simplement avec l’espoir qu’il fera écho à quelqu’un un jour, qu’il  donnera de la force à quelqu’un en train de traverser cette épreuve, simplement de passage ici par hasard :

Carnets, novembre 2018.

C’est étrange.

A l’intérieur de moi le calme s’épend

La quiétude me berce

Paisiblement je vogue

Cela semble étrange

Et si c’était le calme avant la tempête ?

Le ciel bleu pendant la tornade

Juste avant d’être désertée

La mort s’est emparée d’elle

La mère nourricière

C’est donc ça la mort

Le regard hagard

Les pupilles vidées de lueur

J’ai vu la forme de ses os

La peau dévoilant les contours de son squelette

Ses joues avaient disparu

Sa lente, éprouvante respiration

Quelques jours plus tard

Je l’embrassais sur le front

J’ai senti le froid du cadavre

J’ai vu la déformation de ses lèvres

De son visage

Le corps inerte

Sans chaleur

Maman est morte

Et pourtant embrasser un cadavre n’a pas été le plus violent

Comparé à la violence des trois derniers jours qui ont précédé sa disparition

La souffrance

La dénutrition

La perte d’autonomie

La lenteur

La fatigue

La morphine

Le regard dans le vide

Les cauchemars d’Auschwitz

Le dimanche matin mon inconscient pressentait la mort

Il y avait une atmosphère si lourde

Je n’arrivais plus à la regarder

Sans m’effondrer

J’ai pris la voiture

De rage, de colère, d’amertume, de tristesse

J’ai hurlé

J’ai crié

J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps

Le lendemain elle n’était plus là

Maman est partie un lundi à 6h du matin

Le 29 octobre 2018

Et je ressens le calme

Comment puis-je être si calme

Le deuil ne peut pas être aussi paisible

Cela n’est pas possible

Cela semble étrange

Quelque chose cloche

C’est peut-être le déni

A moins que ce soit un soulagement

Voir quelqu’un que l’on aime souffrir

Vous mets à terre

Depuis six mois je ne regardais plus le ciel

Je regardais mes pieds

La pesanteur s’était emparée de mon être

La vie semblait si fade, si morose

Je n’avais jamais ressenti une telle lassitude

Vivre avec quelqu’un que l’on aime tant

La voir diminuer

La voir souffrir

Est éprouvant pour l’âme

Le vendredi 26 octobre au soir je l’ai accompagnée à l’hopital pour qu’elle fasse des examens

Elle était déjà en train de mourir mais je ne le savais pas

Les médecins n’ont rien vu non plus

Les médecins ne connaissent pas forcement les signes de la mort imminente

Il y avait 1h30 d’attente

Maman était très diminuée

Je lui ai donné ma veste pour qu’elle soit plus confortable

Pour soulager le contact de ses os sur la chaise

Je lui ai parlé pendant 1h

Je lui ai dit qu’elle était au creux de la vague mais qu’elle allait remonter la pente

On avait pris la décision qu’elle retourne à l’hôpital lundi pour se faire hospitaliser

Je ne savais pas qu’à ce moment precis ses reins étaient en train d’être intoxiqués

Je lui disais de rester confiante

Que ce n’était pas le moment de lâcher

Qu’il y avait encore plein d’autres traitements à tester

Je lui ai caressé la tête pour l’apaiser

Je lui ai fait la relaxation de la forêt

Son visage s’est détendu

Elle avait du mal à respirer

Je lui tenais la main

La regardais avec amour

Maman je suis là

J’étais dans ma bulle avec elle

J’avais oublié qu’il y avait d’autres patients dans la salle d’attente

Une femme de mon âge se lève en sanglots

Je me dis que son mec a du la larguer

Elle revient c’était à son tour

Elle était aussi là avec sa mère

Au sortir de leur rendez-vous elle me regarde

« Merci. Merci. Merci pour la leçon de vie que vous m’avez donnée. »

De quoi parle-t-elle ? Quelle leçon de vie ?

« Je suis fille mais aussi mère d’un enfant. Et ce soir vous m’avez donné une leçon de vie que je n’oublierai jamais». Je ne comprends pas. J’ai envie de lui poser mille questions. Qu’est-ce qui fait écho en elle ? Elle ou sa mère est peut-être malade ? Peut-être que de son côté, elle n’ose pas montrer son affection, par pudeur, à sa mère, comme j’ai pu le faire dans cette salle d’attente ? Elle fond en larmes. S’approche de nous. Prend maman dans ses bras. Maman pleure. Elle s’approche de moi, me serre dans ses bras, elle m’a touchée en plein coeur, je pleure. Je n’oublierai jamais ce câlin. On s’est pris un raz de marrée d’amour et d’humanité dans cette salle d’attente si vide, si triste, si déserte un vendredi soir. J’admire les gens qui osent faire tomber les barrières, qui laissent jaillir, exprimer un geste de tendresse, leur humanité. Dans la voiture on en reparle, qu’est-ce que cela fait du bien l’authenticité. Maman me dit que cette jeune femme a entendu tout ce que j’ai dit dans la salle d’attente. Moi je pensais que j’étais seule au monde avec ma mère. Pendant 1h30 je lui ai parlé pour la soutenir. Je crois que j’ai dit des trucs forts. Je lui ai demandé ne ne pas lâcher maintenant, de continuer de se battre. Cette jeune fille a tout entendu. Peut-être qu’elle a été émue d’être spectatrice d’une scène où même à quelques mètres du précipice, l’humain se bat, essaie de s’accrocher à la vie.

Le dimanche 28 octobre on décide d’appeler le samu

Maman n’arrive même plus à se lever pour remettre son pantalon

Les métastases dans les lombaires

Elle hurle de douleur

Je monte avec elle dans le camion du Samu

Il y a cette lumière bleue

Ses yeux verts dans les cieux

Une partie d’elle est dejà partie

2h30 d’attente aux urgences

Ça y est, on nous dit qu’on va enfin pouvoir la voir

On nous demande de nous installer dans une petite salle

La cancérologue est en ligne au téléphone

Je me dis que c’est pour nous demander des infos sur les derniers jours

Je ne vois rien venir

On était tous debout

Ma petite soeur, mon père, la soeur jumelle de ma mère

Le médecin des urgences se met à parler

« Nous n’avons pas pu réanimer ses reins »

Je l’arrête « Quoi ? Elle est morte? »

« Non rassurez-vous »

Soulagement. Ce ne doit pas être si grave.

Il continue de parler. « Intoxication au potassium », « pas possible de réanimer ses reins ». La soeur jumelle de ma mère pose des questions mais j’ai l’impression qu’on s’égare. Ce n’est pas clair. Qu’est-ce qu’il essaie de nous dire celui là avec sa putain d’histoire de réanimation si elle est toujours en vie. J’ai l’impression qu’on tourne en rond, qu’il n’arrive pas à dire le pire. Je reprends les rennes.

« Excusez-moi, concrètement, êtes-vous en train de nous dire que vous ne pouvez pas la sauver ? Que maman va mourir? »

Hochement de tête.

Frisson.

« Quand ? Dans un an ? Dans six mois ? Dans un mois ? Dans une semaine ? »

« Quelques jours.

Quelques heures. »

Elle peut partir à tout moment.

Mon ventre, mon cœur, ma gorge se sont noués

Le temps s’est arrêté

Les larmes n’ont pas coulé

J’ai entendu papa suffoquer

J’ai observé les larmes couler sur les joues de mes proches

Moi je n’avais aucune larme

De malaise

J’ai souri

j’ai commencé à voir flou

La violence était telle

Que mon corps s’est sidéré

J’ai perdu pieds

Je me suis évanouie

Ils ont du m’allonger sur le brancard

On n’avait pas encore mis toutes les cartes sur la table

Elle devait essayer un autre traitement en biologie moléculaire avec l’institut Gustave Roussy

Ses analyses avait été envoyé aux Etats-Unis

Pour faire partie d’un groupe de cobaye

On attendait les nouvelles d’un autre traitement possible en immunothérapie

Je n’avais pas compris qu’elle était déjà en phase terminale

Personne ne l’avait dit clairement

Cet acite, 8 litres d’acite dans son ventre

C’était déjà un signe de la fin

Je n’avais pas compris que même ces traitements en immunothérapie pouvaient au mieux rallonger sa vie de quelques années mais ne pouvaient pas la sauver

J’ai pris conscience de mon ignorance après coup

Du fossé informationnel entre les médecins et nous

Les non-dits, les omissions,

En même temps, c’était salvateur de vivre ces six derniers mois dans l’espoir

On n’a jamais cessé de se battre

Papa et maman ont continué de partir en week-end

Dans les campagnes environnantes

Ça leur faisait du bien 

Fin août on a fêté les 60 ans de mariage de mes grands-parents en Bretagne

Avec les oncles, les tantes, les cousins

C’était la dernière fois qu’on était tous réunis 

C’était aussi nos dernières vacances tous les 4 ensemble

En bords de mer, on se sentait bien

Avec Florine on était emmitouflées dans les bras de maman

Maman était si fragile, si vulnérable

Papa ronflait paisiblement sur le sable

Avec maman on a fait le tour de l’île Renote près de Tregastel

J’étais en béquilles

C’est notre endroit préféré, on était bien au milieu de tous ces rochers

C’était la première fois de l’année que je partais en vacances 

Car en avril on devait partir aux Baléares, ma valise était prête

Mais la veille du départ, les vacances ont été annulées, maman devait se faire opérer

Pour se faire poser un stent

Car la tumeur était tellement grosse qu’elle avait bouché les voies biliaires

« Cholangiocarcinome »

Je comprends mieux pourquoi maman nous disait que notre médecin traitant, qui est aussi un ami de mes parents, avait l’air si angoissé

Apparemment dans le milieu médical ce nom barbare évoque un aller simple vers le couloir de la mort 

J’aurais aimé dès le début qu’elle ne fasse pas la chimio, qu’on fasse un jeûne thérapeutique tous ensemble, une méthode plus douce

En accord avec ses valeurs et son éthique personnelle

Mais c’était compliqué de faire de tel choix

Son foie était déjà très endommagé

Or le foie est garant de l’immunité

Et quand le cancérologue vous regarde droit dans les yeux et vous dit qu’avec la chimio vous allez vous en sortir car

« Vous êtes jeune »

« Vous avez une vie saine »

« Vous êtes sportive »

« Votre cancer s’est développé sur un foie sain »

Comment ne pas faire confiance au médecin ?

La vérité est-elle toujours bonne à dire ?

De toute façon ce n’était pas mon corps

Cela ne relevait pas de mes choix

On ne peut pas rejouer le scénario

La cancero a parlé des pesticides

Elle nous a dit qu’elle suspectait les pesticides

Peut-être qu’un jour on saura

Peut-être pas

De toute façon même une vie saine à manger des légumes bio tous les jours ne nous protège pas de ces merdes

Puis, le cancer c’est multifactoriel

L’environnement

Le terrain génétique

L’hygiène de vie

Mais aussi l’hygiène de l’âme, la santé émotionnelle

Car cela ne suffit pas de prendre soin que de son corps

Encore faut-il aussi prendre soin de son âme

Maman était en train de comprendre ça

Elle était en chemin

Peut-être que sans la maladie elle n’aurait jamais exprimé ses souffrances intimes

Elle n’aurait jamais exprimé ses manques, ses peurs, ses angoisses

Elle n’aurait jamais exprimé ses aspirations les plus intimes, ses aspirations créatives, ses aspirations les plus douces

Durant ces six mois on a échangé

On a passé un nombre incalculable de matinées, après-midi, soirées à l’hôpital

Je connais comme ma poche le trajet pour aller au service cancérologie

L’étage 3B

Le panneau chimio

Je crois que je me suis habituée à la maladie

A tous ces corps déformés par le cancer

Avec papa on se répartissait les matins de la semaine pour lui apporter un petit déjeuner meilleur que celui de l’hôpital

Papa lui faisait son jus de légume cru tous les matins

J’ai passé beaucoup de moments paisibles au chevet de ma mère

A l’hôpital maman a lié une amitié très forte avec Catherine

Elles ont passé deux semaines dans la même chambre

Catherine, m’a dit qu’en voyant l’union de mes parents

Elle croyait de nouveau en l’amour

Catherine va mieux, elle est en rémission

Au cours de ces six mois, maman a mis des mots sur ses souffrances intérieures

Ça faisait huit ans que je lui disais que c’était irresponsable de nier sa vie intérieure

Qu’elle ne pouvait pas faire l’économie du ménage interne

Aller chercher au plus profond de soi nos blessures pour ne pas qu’un jour ces blessures de l’âme s’emparent de nous

Et s’expriment au travers du corps

C’est le propre de la somatisation, de la psychosomatique

Ce que l’âme n’arrive pas à exprimer par la parole

Elle l’exprime par le corps

On a eu le temps de lire tous les bouquins en lien avec la symbolique des maladies du foie, maman a eu le temps d’amener de la conscience dans l’apparition de cette maladie

Elle a rencontré de belles personnes

Acupunctrice, magnétiseuse, naturopathe, psychanalyste et j’en passe

Il y avait plein d’événements non digérés qu’elle ruminait

Elle a réussi à mettre des mots, à exprimer tout ce qui l’avait violenté dans son existence

Le harcèlement au travail

L’injustice et la malhonneteté

Les agressions, le machisme

La froideur de sa mère

La maladie de son père

Maman m’a toujours parlé de la mort de son père comme un traumatisme

Voir son père diminué, squelettique sous morphine

Lui c’était un cancer du côlon

Deux jours avant qu’elle parte je lui ai dit que j’avais l’impression qu’elle me faisait revivre ce qu’elle n’avait jamais digéré

Moi je ne veux pas refaire vivre ça à mes enfants

Je relisais les rares notes qu’elle nous a laissé dans son carnet

Où à l’adolescence elle voyait son père, un des premiers greffé du rein, derrière une vitre

Elle ne pouvait pas l’approcher

Elle a mal vécu le changement d’humeur de son père à cause de la morphine

Maman c’est ses reins qui ont lâché

Qu’est-ce qui s’est rejoué ?

Qu’est-ce qu’elle a inconsciemment reproduit ?

A moi d’aller creuser dans la lignée, dans les mémoires intergénérationnelles

Je vais aller débroussailler cet arbre généalogique

Apporter de la clarté

Conscientiser les non dits, les tabous, les violences

Pour libérer les souffrances

Eviter que les traumatismes inconscients de la lignée se répètent éternellement

J’avais envie de faire ce travail avec elle

Elle m’avait dit qu’elle était partante

C’était quelques jours avant qu’elle sorte de l’hôpital

Le mardi 17 avril 2018

Je l’attendais sur un banc pendant son rendez-vous

Je l’ai vue s’approcher de moi

Le visage fermé

Les yeux éteints

Cancer primitif sur un foie sain

Rare

Stade 3

Grosse tumeur

Partie des voies biliaires

Voie biliaire bouchée

Taux de birilubine explose

Foie droit mort

Cancer agressif

Le soir j’enseignais un cours de yoga

Il y avait une mère et sa fille qui étaient venues essayer le cours

En six mois ce nuage noir s’est emparée d’elle

J’en veux aux scientifiques qui ont donné le nom de mon signe astrologique à cette maladie

Moi je l’aime bien mon signe, il est poétique, c’est un petit crabe un peu peureux et un peu lent, il n’avance sur le sable qu’en zigzaguant, il sort la tête du sable seulement lorsque la lune révèle ses reflets argentés, au moindre coup de vent, il retourne s’évader dans son intériorité.

On avait commencé la méditation

Mais elle était tellement affaiblie

Son abdomen etait tellement gonflé

Elle avait tellement de difficulté à respirer

Son cancer a du se développer entre la fin d’année 2017 et le début de 2018

Tous ces mois où son foie n’a rien dit

Aucun symptôme

Moi j’avais beaucoup de colère contre elle

Colère qu’elle ne commence pas un travail thérapeutique

En médecine chinoise la colère est lié à l’organe du foie

Peut-être que mon corps savait déjà ?

Son père avait perdu la foi

Parce qu’enfant il s’etait fait attouché sexuellement par le prêtre de l’internat

Sa mère s’était faite attouchée sexuellement par son oncle à Alexandrie

L’union de mes grands parents maternels s’est en partie fondée sur une violence subie commune

L’union de ses parents s’est construite sur une blessure d’enfance

Sur une injustice

Durant six mois je crois que ma mère était en train de se réconcilier avec la sienne

La foi en elle, en ses talents, en sa douceur

C’était symbolique de lui rendre hommage à l’Eglise

S’il y avait eu un temple universel à Bougival, on ne l’aurait pas fait à l’Eglise

Mais peu importe

Ce qui importe c’est de ritualiser les obsèques

Un lieu spirituel quelqu’il soit pour rendre hommage

Pour s’élever vers le ciel

Celui qui est ouvert d’esprit n’est pas contraint par la forme

Seul le fond compte

Le sacré

Le prêtre ne partageait pas cette vision

Il nous a pris pour des brebis égarées ayant perdu la foi

Je crois que leur seule obsession c’est de convertir les gens à leur religion

Ça manque d’ouverture, de tolérance

Je n’aime pas les gens aussi fermés d’esprit

Je préfère ceux qui ne sont pas prisonniers de leurs croyances

Je préfère ceux qui célèbrent et qui honorent la diversité, la multitude des possibles

Ceux qui aiment le sens de la nuance et de la complexité

Moi j’ai la foi

Mais ma foi est ouverte,

Elle aime le complexe

Ma foi se nourrit de poésie, de contes et de légendes

S’inspire de tous les textes sacrés

De toutes les philosophies

Et ne retient que ce qu’il y a de plus lumineux

Elle croit que ce qui nous transcende n’est pas intelligible par l’homme sous une forme précise et définie, qu’elle est de l’ordre du mystère, du subtil, de l’indicible

Qu’elle s’exprime dans l’universel, à la croisée des singuliers

Alors peu importe le chemin que l’on prend

Ce qui compte c’est l’ouverture et la joie de la multiplicité

Avec ma soeur on a lu un beau texte qui mettait en avant ses rêves, ses passions, ses aspirations, ses contradictions

Au funérarium on avait déposé dans le cercueil les lettres qu’on lui avait écrites deux semaines auparavant

C’était des lettres pour lui exprimer notre amour

Papa les a disposées dans les mains de maman, près de son coeur

Au sortir du funérarium, j’ai pleuré, voir le visage de maman déformé

Je crois que j’ai été très choquée, très violentée

Mais papa a su trouver les mots pour m’apaiser

Il m’a dit que ce qui avait toujours compté pour eux c’était l’intérieur, pas l’extérieur et que ça n’allait pas changer aujourd’hui

Que les souvenirs qu’il retiendrait de sa femme, ce sont ceux où elle est pleine de vie et souriante

Que maman serait toujours là avec lui, que leur complicité ne le quitterait jamais 

Je ne le remercierai jamais assez d’avoir su trouver les mots justes pour apaiser mon ventre noué et ma nausée ce jour là

 

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A l’Eglise, on a diffusé des chants d’oiseaux et la 7ème symphonie de Beethoven

Dans la voiture, maman n’avait qu’un seul cd, un cd qu’on lui avait offert et qu’elle écoutait en boucle, celui des chants d’oiseaux 

Au cimetière, j’ai lu le poème Elévation de Baudelaire

Ma soeur a lu Le papillon de Lamartine

Le cerceuil était en bois tendre aux teintes naturelles

La composition florale était douce et élégante, épurée, du vert et des fleurs blanches avec quelques feuilles tropicales

J’ai jeté une tige de bambou dans la tombe

Un oiseau s’est envolé

La vue était magnifique

Sur la forêt et ses couleurs automnales

La lumière était si douce

Tous ces gens, tout cet amour

Le soir dans la salle des fêtes papa a fait un discours, il a retracé leur histoire

Leur rencontre au Gibus

Une boîte de rock

Il avait couru sur le quai du métro pour la retrouver

Comme dans les films

Leur histoire avait commencée

Il a parlé avec tendresse, il a dit qu’il y aurait toujours une petite dent cassée et des cheveux bouclées qui veilleront sur nous

Il a créé une playlist pour maman

Une playlist qui rappelle tous leurs souvenirs

Elle passe en boucle à la maison

Il y a la chanson « Baby I love you » des Ramones 

Moi j’ai reparlé de ces six derniers mois

A quel point maman s’est revelée à elle même

Après tout, peu importe l’âge auquel on part

Le plus important du point de vue de l’âme c’est d’exprimer notre vérité

Maman avait commencé le dessin

Le vendredi 26 octobre, je lui avais dit de se lever du canapé pour aller dessiner

Elle a dessiné pendant 2h

Elle m’a dit que lorsqu’elle dessinait elle se sentait apaisée

Elle ne sentait plus la douleur

 

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Une semaine avant son départ, je lui avais acheté un kit d’aquarelle

On devait s’inscrire à un cours de peinture

Elle n’a pas eu le temps de commencer

Depuis une semaine elle s’était aussi remise à faire des exercices d’astrophysique

Ma mère, après avoir été ingénieure, était devenue

une professeure de pilates et fitness qui aimait toujours nous parler de l’univers, de mécanique quantique et du chat de Schrodinger

avec un enthousiasme qui me faisait toujours exploser de rire

La dernière fois que je l’ai vue

Je devais revenir la voir le lendemain pour la bercer avec sa relaxation préférée

Une méditation guidée

Une balade en forêt où son foie était guéri

Il y avait une prairie lumineuse

Où elle faisait des câlins à tous les arbres en chemin

Il y avait un sage au fond de la forêt qui la prenait dans ses bras

Elle avait adoré cette relaxation

La sensation de bien-être, d’amour, de joie, de guérison

Deux semaines ont passé, le vide commence à s’installer

Quand je pense à toutes les années à venir j’ai le vertige

Maman ne connaîtra jamais mes enfants

Il paraît qu’on va devoir traverser le chagrin

On n’est jamais prêt à se séparer des gens qu’on aime

J’en ai marre de toute cette tristesse, de toute cette pesanteur, de ce vide

J’aimerais simplement retrouver ma légèreté

Cette insouciance

Cette douceur de vivre qui m’a toujours bercée

Je repense à ces dix jours de méditation sans parler

Impermanence

Equanimité

Je me sens si calme

Si paisible

Les feuilles tombent

Les arbres se dénudent

L’hiver approche

L’amitié brille de mille feux

Ce soutien sans faille

Cet amour qui jaillit

Ces piliers qui nous portent

Qui nous soutiennent

J’ai tellement de gratitude de partager ce bout de chemin avec eux

Cette deuxième famille

Dans ces moments là, certaines personnes se révèlent par leur absence,

Face à la maladie, face à l’inconfort, face à la mort

Tout à coup, ils s’évaporent

Ce n’est que le miroir de leur inconfort face à leurs propres souffrances

Face à l’impermanence

Moi j’ai de la chance

J’ai des amis en or

Mais, il y a des gens

Dignes de ce qu’il y a de pire

J’exagère un peu

Mais en pensant à cette dame j’ai des pulsions de colère

Heureusement que la vie en société contrôlent nos pulsions les plus mortifaires

Il y a eu cette dame, si mauvaise

Qui est venue à la maison

Maman si vulnérable

Entre la vie et la mort

Cette Jeanine est venue

Demander à maman si elle pouvait poser sa démission

J’étais dans la cuisine

Je l’ai entendue

La colère, la rage est montée en moi

Mes yeux sont devenus noirs, se sont emplis de haine

Il y a des gens tellement malsains qui profitent de la vulnérabilité d’autrui pour venir vous écraser

J’ai respiré profondément

Dans le calme

Je suis descendue

Au dernier moment j’ai transformé mon regard en un regard aimant

Pour qu’elle prenne conscience en me voyant que maman a des enfants

Que c’est à un être humain qu’elle s’adresse

Pour lui renvoyer en pleine figure son manque d’humanité, sa détresse

Une partie de moi avait envie de l’insulter, de la détruire

L’injustice me révolte

C’est ce qui me fait sortir hors de moi

Ce n’est pas la première fois qu’elle lui manquait de respect

Mais j’ai réussi à laisser exprimer celle plus calme, plus douce, plus intelligente

Je l’ai laissée repartir avec sa détresse et sa faiblesse d’âme

Moi mes amis m’ont portée

Ils m’ont tellement rempli d’amour

Ca me fait penser à « Philia » et mes cours de philo sur l’Amitié

La semaine de l’enterrement on croulait sous la fatigue

Mes amis avaient organisé tout le buffet

Entre toutes ces pompes funèbres qui nous disaient que ce n’était pas possible d’organiser les obsèques de maman le vendredi car c’était férié le jeudi, que ce n’était pas possible de trouver une salle de réception en si peu de temps

Qu’il n’y avait plus de place, que tout était complet

Qu’il fallait attendre le lundi ou le mardi d’après mais qu’au vu de l’état de son corps et du cancer qui avait déjà commencé à la ronger, son corps risquait de se dégrader, de se décomposer à vitesse grand V

C’est violent les pompes funèbres

Je me souviens de cette sensation de désespoir ce lundi soir

En plus d’encaisser la mort, je devais encaisser l’idée que peut-être on ne pourrait pas organiser un hommage digne de ce nom 

Ce stress, cette angoisse

C’est important pour faire son deuil de rendre un bel hommage

Et puis ces prix exorbitants

On n’a pas idée que la mort a un coût aussi pharaonique

On n’a pas idée à quel point la mort cristallisent toutes les inégalités de richesse

J’ai découvert un nouveau monde

Si vous n’avez pas d’argent il y a les fosses communes

Il y a aussi le maquilleur de l’ombre, celui qui maquille les morts pour les embellir

Le prix des tombes, des caveaux, les locations de tombe sur 10 ans et j’en passe

Je suis allée à la mairie payer l’emplacement de la tombe de ma mère

Le n°377

Elle a la chance d’avoir une belle vue 

Cette semaine là les températures avaient baissé, il n’avait fait que pleuvoir

Finalement tout s’est déroulé exactement comment on l’avait imaginé 

On a décoré la salle comme maman l’aurait aimée

Et le jour de l’enterrement

Le ciel était bleu, il faisait bon

Un halo lumineux a traversé l’Eglise

J’ai souri

C’était beau avec les vitraux

Une lumière si douce

Entremêlée à ces couleurs d’automne

C’était vraiment une belle journée

A la fois remplie de tristesse 

Mais aussi de beaucoup de joie, de vie et d’amour

Tous mes liens les plus sincères se sont renforcés, soudés

Toutes mes plus grandes amitiés ont pris une ampleur que je ne saurais exprimer

Une profondeur et un amour indescriptible

Au moment où le cercueil est rentré dans la terre

J’avais l’impression d’être dans un film

J’étais comme hors de mon corps

J’étais là

Mais toute une partie de moi était absente

Toute une partie de moi était ailleurs

Je vivais ce moment en décalage

On pleurait et on racontait des conneries 

Du coup on rigolait aussi

C’était un moment irréel

A présent, on continue le chemin à trois

Papa, Florine et moi

Mais maman est toujours là

Partout

Chaque détail de la maison

Chaque parc, chaque forêt

On allait souvent se balader dans les forêts alentours

Je ne saurai qu’à ma mort ce qu’il y a après

J’espère que la vie sur terre n’est qu’une partie du chemin

J’espère qu’il y a d’autres formes de vie

Des formes de vie tellement complexes qu’elles sont invisibles et inintelligibles pour l’humain

J’espère que s’il y a un après, que maman est libérée, qu’elle est sereine

Que la douceur de ses yeux verts réside paisiblement dans l’éternité